Vaucluse en 1870
par le docteur Billod, Médecin en chef
Le directeur de l’asile d’aliénés de la ville de Paris à Épinay-sur-Orge en Essonne, ancienne Seine-et-Oise, décrit et justifie son action dans la tourmente du siège de Paris par les prussiens de septembre 1870 à janvier 1871.
Il avait recueilli les aliénés de Ville-Evrard, dépendant aussi de Paris, et doublé la population de l’asile, passant à environ mille aliénés.
Il s’étend sur les difficultés d’approvisionnement, les visites des officiers ennemis et les demandes de réquisitions malgré le statut de neutralité validé par le quartier général allemand, et enrichit le récit d’anecdotes.
– Je diffuse ici quelques passages, illustrés de cartes postales un peu postérieures ; mais les lieux changeaient peu à l’époque.
– Villiers-sur-Orge – Asile de Vaucluse – Jardin potager et Colonie
– Villiers-sur-Orge et Vaucluse (S.-et-O.) – La Route du Perray
– Asile de Vaucluse
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Dans le même moment, M. Evrard, boulanger adjudicataire de la fourniture de pain vint me faire connaître que les Prussiens qui s’étaient emparés de son four et qui avaient consenti jusqu’alors à faire alterner le fonctionnement pour l’Asile et pour eux, venaient de lui signifier leur intention bien formelle de s’en servir pour eux seuls à notre exclusion.
Il put encore, le jour même où il nous fit cette déclaration, faire quelques fournées pour l’établissement mais il dut cesser le lendemain.
À cette époque de l’invasion, c’est à dire vers le 20 Septembre, l’Asile se trouvait à la veille de manquer de pain et de viande.
La ration de pain a du être diminuée pendant deux jours seulement.
Quand à la viande, les circonstances m’ont obligé à en réduire la ration à 220 gr.
La situation était d’autant plus grave que l’armée prussienne étendait chaque jour ses déprédations et qu’elle ne dissimulait même plus son intention de s’opposer aux approvisionnements de l’Asile, en attendant qu’elle fît peser sur lui aussi ses réquisitions.
On comprendra de ce qu’ont pu être mes anxiétés en présence de quelques premières velléités de réquisition de vaches, de blé, etc…
Il était facile de pressentir d’après les exigences chaque jour croissantes dont il sera parlé plus loin, que les empiétements iraient en progressant et que l’Asile ne tarderait pas à avoir le sort de toutes les populations environnantes.
Tout ce que l’on avait pu faire avait été de le ménager en raison de son caractère d’établissement de bienfaisance aussi longtemps qu’on pouvait se suffire par d’autres réquisitions.
Mais il était évident que ces réquisitions épuisées on n’hésiterait pas à se rejeter sur l’Asile au risque d’affamer ses malheureux habitants.
L’officier du détachement cantonné au Breuil en manifestant son intention de s’emparer de nos farines au moulin avait déjà fait cette réflexion que « la vie des Prussiens était plus précieuse que celle des aliénés ».
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Le 26 Septembre, c’est-à-dire le lendemain même du jour où la lettre contenant [mon] appel a du parvenir à son destinataire, un lieutenant-colonel de l’armée bavaroise, accompagné de l’aide de camp de son général, m’apportait le document ci-après que je traduis de l’allemand :
« L’établissement des aliénés (Asile de Vaucluse) est libéré de tout logement de soldats et de toute réquisition.
Le directeur de cet établissement a, de plus, le droit de circuler pour l’achat des vivres et l’entretien des aliénés dans toute la contrée.
Recommandation est faite pour ceci aux troupes allemandes circulant dans le pays
Versailles le 25 Septembre 1870
Fait par le commandant supérieur de la 3e armée
Le quartier maître en chef signé De Gottberg »
Il était temps, car, le jour même, des réquisitionnaires se présentaient à la ferme pour avoir des vaches qui n’y étaient pas, il est vrai, attendu que l’isolement de cette annexe l’exposant plus directement aux déprédations de l’ennemi, j’avais cru devoir évacuer le peu de vaches qui nous restaient sur l’étable qui se trouve dans les communs du château. Ils se retirèrent sur le vu du document précité mais avec une certaine hésitation car sa date récente n’avait pas permis de le répandre parmi toutes les troupes cantonnées.
Dans le moment, plusieurs malheureuses femmes étaient venus nous prier de donner abri à leurs vaches pour les soustraire aux réquisitions de l’armée prussienne. Je saisis cette occasion de leur être utile, non pas en accédant à leur demande, ce que je n’aurais pas fait sans violer la neutralité qui nous protégeait mais en leur proposant de leur acheter leurs vaches.
Elles acceptèrent cette offre avec reconnaissance (ces malheureuses femmes profitaient ordinairement du départ d’un détachement pour sortir leurs vaches de leurs cachettes, et pour nous les amener. Plusieurs de ces vaches étaient cachées dans la forêt et leurs propriétaires s’étaient astreintes, depuis le commencement de l’invasion, à aller passer une partie de la journée avec elles pour les faire paître.) et nous pûmes ainsi nous procurer en quelques jours une quinzaine de vaches.
Mais comme ce nombre représentait à peine la nourriture de deux semaines et que la difficulté de s’approvisionner m’apparaissait chaque jour plus grande, je prescrivis à l’économe intérimaire de se rendre à Arpajon où les bouchers, je le savais, étaient restés et n’avaient pas cessé de s’approvisionner. Le comptable devait, non pas traiter avec des bouchers pour des fournitures de viande, je savais que c’était impossible, mais s’enquérir auprès d’eux ou d’autres habitants de la localité des moyens de s’approvisionner en bestiaux.
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– Asile de Vaucluse
- Médiagraphie : delcampe.net, Google Maps, geoportail.gouv.fr
- Vaucluse en 1870 – Les aliénés de Vaucluse et de Ville-Evrard pendant le siège de Paris, Par le docteur Billod, Médecin en chef directeur de l’asile d’aliénés de Vaucluse (Seine et Oise), Paris, Librairie de G. Masson, libraire de l’Académie de médecine, Place de l’École de médecine, 1872
- Voir aussi : Vaucluse en 1870
- Vaucluse en 1870 (III)